les arts trompeurs, journée 5
L’image naturelle : aux fondements du lien entre photographie et « magie »
Clément Bodet (Doctorant, Université Aix-Marseille)
À quel moment peut-on constater — évaluer — une résonance entre photographie et « magie » ?
À la
charnière de son invention. Car l’idée de photographie précède son avènement dans le fantasme de
l’imagea-technique.
L’invention de la photographie correspond à la concrétisation d’un projet qui lui
est sous-jacent, d’un archétype archéologique : celui de l’image naturelle, achéiropoïète.
Le « dispositif
photographique », celui de la camera obscura, s’associe à un procédé chimique (la photosensibilité des
sels d’argent, substance « porte-ténèbres » connue depuis le XVIIIe) pour former
un ensemble permettant la fixation d’une image. D’un « projet photographique universel » s’exhume en
réalité un rapprochement tardif (fortuit) entre deux pans de la connaissance scientifique.
Cette
technologie en puissance, en train de se faire, reconduit le mythe de l’image naturelle par
l’intermédiaire du daguerréotype et inaugure alors « la logique nouvelle de l’image comme champ
spectaculaire, autonome, indépendant de toute relation à l’imprimé » (F. Brunet).
Le cerveau, la pensée magique et le cinéma
Maxime Scheinfeigel (Professeure, Université de Montpellier 3)
La capacité du cerveau à produire et à projeter des mondes imaginaires sur un écran intérieur (rêve, mémoire) est illimitée.
Dès qu’il est mis au travail par le magicien Georges Méliès, le cinématographe
reprend à son compte cette capacité grâce à des trucages ad hoc et grâce au montage.
Et c’est bien à cet
endroit que la pensée magique, liée à la conception animiste d’une autre réalité excédant le champ
simplement perceptif des humains, trouve son lieu.
Elle est d’emblée installée au coeur même du
cinéma (Méliès, bien sûr !), et par la suite, des cinéastes sensibles à la magie, parfois eux aussi
magiciens, parfois non, ne cessent de la réactualiser.
On explicitera ce propos à travers des images ou
séquences d’images conçues par quelques cinéastes notoires : Segundo de Chomon, Mosjoukine,
Welles, Allen ou encore Resnais.
L’astronome, magicien des temps modernes : machination du ciel étoilé dans le cinéma des premiers temps
Sophie Rabouh (Doctorante, Université Paris 1 et Université de Montréal)
L’astronomie et le cinéma usent de moyens techniques afin d’accéder à une toute nouvelle visibilité
du réel.
Ce faisant, ils exacerbent les qualités des objets auxquels ils s’appliquent et bouleversent les
mécanismes du rapport habituel qui pouvait exister auparavant entre perception visuelle et
représentation.
Ainsi le magicien au cinéma apparaît-il souvent comme un astronome et, inversement,
l’astronome comme un magicien.
Le ciel et les astres sont présentés quant à eux sur un mode propre à
faire apparaître le caractère magique de leur visibilité.
Il s’agira de s’interroger, principalement à
travers les travaux de l’astronome Camille Flammarion (Danielle Chaperon, 1995 et 1998) ainsi que les
œuvres de Méliès, sur le particularité toute « mécanique » des rapprochements qui ont pu s’effectuer
entre cinéma et astronomie dans le cinéma des premiers temps.
« Une illusion frappante de réalité ». Surgissement et merveilleux scientifique dans l’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat
Jean-Pierre Sirois-Trahan (Professeur, Université Laval)
Les vues Lumière, on le sait, procurèrent aux premiers spectateurs de l’invention une illusion
confondante (des feuilles qui bougent, les vagues qui déferlent, etc.) confinant au trompe-l’oeil et
provoquant un sentiment halluciné.
Cette illusion n’eut rien à envier à celles prodiguées par les
magiciens (d’où l’intérêt du métier pour cette invention).
L’Arrivée d’un train demeure l’apogée de ce
moment magique, avant que normalisation et habitudes perceptives ne viennent naturaliser l’effet "trompe-
l’oeil".
Grâce à une plongée dans les archives, nous voudrions analyser en détail la réception de
cette vue, décortiquer les stratégies des opérateurs Lumière et le discours journaliste rendant compte
du surgissement du train.
Plus largement, nous voudrions analyser l’espèce de merveilleux
« filmophanique » (Étienne Souriau) créé par l’apparition de ces images animées, comme « choc »
(Walter Benjamin) pour le système perceptif.
Portrait du cinéaste en « grand magicien et enchanteur » (Heumann). Faust à l’écran : 1897-1926
Jean-Michel Durafour (MCF, Université Paris-Est)
Cette communication entend mettre en avant l’instauration de la figure – littéraire (Heumann, Lessing), surtout théâtrale (Marlowe, Chamisso, Goethe, Lenau) et/ou opératique (Gounod, Berlioz) –
du docteur Faust, magicien et alchimiste, « grand magicien et enchanteur » (Heumann), comme ce qui
est peut-être la première représentation déléguée du cinéaste à l’écran.
Cette proto-représentation est
structurée à une échelle singulièrement récurrente et avec une telle rigueur et systématicité (au point
qu’elle envahit d’autres adaptations cinématographiques de mythes littéraires pourtant solidement
établis : comme le Frankenstein d’Edison en 1910), où la place du cinéaste s’affirmait progressivement,
et le cinéma comme un art.
Comment et pourquoi est-ce à la représentation d’un magicien qu’a échu
cette nouvelle dignité ?
Le trucage truqué : les effets spéciaux des scènes de prestidigitation au cinéma
Réjane Hamus-Vallée (MCF-HDR, Université d’Évry)
Cette communication se propose d’analyser les effets spéciaux utilisés au cinéma pour reproduire des
scènes de spectacles de prestidigitation.
Quels sont les types de trucages convoqués pour reproduire le
truc du prestidigitateur ?
Quelles techniques, pour quels résultats ?
Quel mélange peut-on trouver
entre des techniques déjà utilisées sur scène par des prestidigitateurs, et d’autres spécifiquement
cinématographiques ?
Il s’agira ici de voir comment les réalisateurs recyclent des tours de magie, en
les adaptant aux particularités du film tout en devant diégétiquement mettre en avant une esthétique
illusionniste.
À ce titre, sera aussi évoqué le tournant numérique, véritable rupture dans la mise en
scène de la prestidigitation dans les films, comme le montrera l’étude des effets spéciaux de films des
années 1920 jusqu’à nos jours.
Les techniques d’illusion. Définitions et analyse comparative
Caroline Renouard (Post-doctorante, Labex Arts-H2H)
Certains effets spéciaux visuels reposent sur l’idée de « transparence », c’est-à-dire sur la mise en
abyme de la projection, en faisant défiler le « réel » comme un film se déroulant derrière ou devant les
personnages, ou bien encore sur la (semi) transparence des verres et des miroirs qui laissent
transparaître le réel au sein de l’image artificielle.
L’autre idée qui prédomine dans les procédés
d’illusion au cinéma est celle de « cache » : il faut « cacher » un espace de l’image pendant un temps
pour mieux en révéler l’ensemble par la suite.
Le recours aux techniques d’illusion — à la fois cachées
et exposées — permet de construire un monde de toute pièce, un monde qui possède sa propre réalité
et sa propre spectacularité.
Cette communication s’intéressera aux différentes définitions, pratiques et
théoriques, des techniques d’illusions cinématographiques (plus particulièrement les effets spéciaux
visuels) et à leurs analyses comparatives, à travers la présentation d’un glossaire technique
multimédia, fruit de différents travaux de recherche menés au sein du projet des Arts Trompeurs.