les arts trompeurs, journée 6
Sémiotique magique : le passage à la voix, pour une forme radicale de performativité
Libera Pisano (Post-doctorante, Université Humboldt)
Dans cette intervention Libera Pisan voudrais présenter les contours théorétiques d’une sémiotique de la magie,
entendue comme un dispositif de pouvoir basé sur la voix humaine.
La sémiotique magique est
complexe, car elle prend en compte trois niveaux différents : le caractère iconique de la parole, la
référence sémiotique et symbolique, l’évanescence de la voix.
Ce croisement permet de déplacer les
frontières de la performativité d’un concept sémantique à un concept sémiotique.
Cela concerne non
seulement les énonciations avec un sens précis, mais se prolonge au medium lui-même : au son de la
voix. Il y a une magie de la voix : elle traverse les obstacles, s’entend à distance et s’insinue en celui
qu’elle atteint.
En effet, quand les formules magiques sont prononcées, elles impliquent une
suspension et une extranéité du sens ordinaire, tout en conservant une performativité forte et efficace.
C’est précisément pour cette raison que Libera va tenter d’esquisser la médiation magique comme une
forme radicale et paradigmatique de la performativité et, en même temps, une forme archaïque du
pouvoir qui dérive de la voix de l’homme.
La « théorie des déformateurs » du théâtre à la radio
Jean-Marc Larrue (Professeur, Université de Montréal)
Emprunté à l’histoire de l’art et apparu dans les années 1890, le concept de « déformateurs » porte sur
l’acte de médiation.
Il s’applique, à l’origine, aux peintres postimpressionnistes – Van Gogh, Gauguin,
Cézanne, etc. - qui « déforment » la réalité pour en faire ressortir ou y ajouter des qualités ou des
dimensions particulières, pour en atténuer ou en occulter d’autres.
L’analogie avec la magie est
évidente et c’est donc sous l’angle général de la médiation que Jean Marc voudrais analyser cette question de
la « déformation ».
En appliquant le concept de « déformation » à la dimension aurale de la triade
théâtre-disque-radio, je veux démontrer que la « déformation » est une modalité parmi d’autres d’un
phénomène beaucoup plus large, l’opacification dont je voudrais montrer la complexité et l’étendue.
Un outre-monde dans ce monde-ci : magie radiophonique du cinéma
Serge Cardinal (Professeur, Université de Montréal)
Dans « Radio Physiognomics », Adorno analyse l’« illusion de proximité » produite par la radio.
La
cause de cette illusion est la suivante : parce que l’auditeur fait face à l’appareil et non pas à la
personne qui joue de la musique, le poste de radio visible devient le support et l’incarnation d’un son
dont l’origine est invisible.
Si l’on veut rendre justice à cette illusion, il faut dire que la radio ne
transmet pas une musique située à distance, mais qu’elle exprime une musique qui se cache derrière le
haut-parleur.
Bref, les sons invisibles proviennent d’un ailleurs qui se situe dans l’espace du dispositif.
Ce paradoxe a une longue histoire musicale et littéraire : caractère fantasmagorique de l’opéra
wagnérien, illusions auditives essentielles à la littérature gothique, etc.
La circulation de la musique
dans les espaces invisibles du dispositif-cinéma prolonge cette histoire : elle sera l’objet de notre
attention.
Musiques électroacoustiques et fascinations magiques : le cas des musiques mixtes à l’IMEB
Martin Laliberté (Professeur, Université Paris-Est)
Les rapports entre les arts technologiques et la pensée magique sont nombreux et ramifiés.
Pour
apporter une contribution musicale, cette communication s’interroge sur le cas des musiques
électroacoustiques mixtes, là où précisément les instruments de musique sont transmutés tantôt par
des traitements de leur sonorité en concert ou tantôt par une confrontation avec une musique
enregistrée comportant un travail de sonorité approfondi.
L’Institut International de Musique
Electroacoustique de Bourges, durant sa prolifique et prestigieuse activité (1970-2011), a suscité la
création de nombreuses pièces mixtes déposées à la BnF et désormais en cours d’une première phase
d’étude.
Cette communication discutera de certaines de ces pièces, pour mettre en évidence les
fondements « magiques », conscients ou inconscients, qui les animaient.
De la spatialisation de la musique électroacoustique à la magie nouvelle
Azadeh Nilchiani (Doctorante, Université Paris-Est)
Notre environnement quotidien est souvent chargé de sons coexistants, qui apparaissent en des
couches sonores multiples : statiques ou en mouvements, simples ou complexes, etc.
L’organe auditif,
qui permet par nature une écoute multidirectionnelle et immersive de ce paysage sonore, nous
informe sur la réalité de cet environnement.
On peut considérer cette capacité et l’habitude de l’écoute
multidirectionnelle dans la réalité quotidienne comme un outil qui permet de nous situer dans le réel
et sur la base duquel la création sonore dans l’espace peut se former.
Dès les premières tentatives de
spatialisation de la musique concrète par Pierre Schaeffer et Jacques Poullin suivies par des recherches
menées à l’IMEB (sur le concept Gmebaphone et l’instrument Cybernéphone), on peut tracer cette
nécessité de reconstituer la nature spatiale de l’écoute.
La magie s’appuie sur notre perception du réel.
Elle peut être : « [...] un moyen de se situer par rapport au réel – l’espace, le temps, les objets... de
manière spécifique.
La magie nouvelle est un art dont le langage est le détournement du réel dans le
réel : c’est-à-dire dans le même espace-temps que ce que la perception offre à appréhender.
Les images
ne correspondent plus à une activité d’illusion ; elles constituent un ordre propre de la réalité
[...]. »(Raphaël Navarro, 2010).
Cette étude va tenter de tracer des liens entre la spatialisation de la
musique électroacoustique et la notion de la magie nouvelle, qui prennent toutes les deux la notion de
perception du réel comme leur fondement.
Transformation de l’écoute et mutation technologique : l’esthétique de l’IMEB
Geneviève Mathon (MCF-HDR, Université Paris-Est), Sylvain Samson (Docteur, chercheur au LISAA) et Grégoire Tosser (MCF, Université d’Évry)
La musique au XXe siècle serait soumise, selon François-Bernard Mâche, à trois tendances principales :
l’influence des modes de pensées scientifiques ; la nostalgie d’un code universel ; la résurgence du
sacré.
Créer des images, des structures, des projections sonores via des machines et des outils
technologiques façonnés au gré de leurs intuitions et qu’ils n’ont eu de cesse de développer et
d’affiner : tel a été le défi et le projet de ces artisans, artistes-électroacousticiens, afin que la musique
renoue avec ses fonctions primordiales archétypales et retrouve sa fonction magique et sacrée.
Il est
question d’interroger la musique électroacoustique en son fondement et sa vocation au regard d’un
monde sonore inouï qui rompt non seulement avec l’instrumentarium traditionnel, mais aussi avec une
manière de penser, d’inventer et de percevoir.
Notre recherche prend appui sur l’important fonds de
l’Institut International de Musique Electroacoustique de Bourges (IMEB) déposé à la BnF,
emblématique de 40 ans de création internationale électroacoustique.